• Kafka “Lo splendore della vita”

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    Dora Diamant

    Una preziosa recensione incontrata su Le monde

     

     

    Kafka, aimer et mourir. “La Splendeur de la vie”, de Michael Kumpfmüller

     

     

    LE MONDE DES LIVRES |

     

    Par Christine Lecerf

     

    A la fin de sa vie, Franz Kafka a été un homme heureux. Les faits sont avérés depuis longtemps. Mais le mythe qui entoure l’auteur du Procès est si puissant et si sombre qu’il rend cette vérité inconcevable. La Splendeur de la vie, quatrième livre de l’écrivain allemand Michael Kumpfmüller (le deuxième traduit en français, après Fugue en lit mineur, Denoël, 2003), la rétablit cependant avec tant de justesse, et une telle puissance, qu’il sera désormais impossible de l’oublier.

     

    Solidement étayé sur près d’un siècle de recherches biographiques et profondément imprégné par la lecture des journaux, carnets et lettres de l’écrivain pragois, ce très beau roman, unanimement salué par la critique allemande à sa parution, en 2011, réussit un tour de force. Obéissant à ce que Kafka nommait lui-même, dans son Journal, “l’essence de la magie”, il parvient à dévoiler ces ultimes moments de plénitude grâce aux seuls pouvoirs de l’invocation romanesque. Kumpfmüller rend en effet Kafka présent, comme il ne l’avait encore jamais été sous la plume des exégètes, à travers le regard aimant de Dora, jeune femme consciente de la grandeur de son oeuvre mais avant tout amoureuse de son corps. Hommage d’autant plus bouleversant que les preuves tangibles de cet amour, les trente-cinq lettres et les vingt cahiers que Dora Diamant, à l’instar de l’ami et exécuteur testamentaire de Kafka, Max Brod, avait sauvés de la destruction contre la volonté de l’écrivain, ont été emportées par la Gestapo et n’ont pas encore été retrouvées à ce jour.

    C’est l’été 1923. Kafka, déjà très malade, se rend avec sa soeur Elli à Müritz, une petite station balnéaire sur la Baltique. Du balcon de sa chambre d’hôtel, il voit les enfants du centre de vacances du Foyer populaire juif de Berlin jouer et chanter en hébreu. C’est là que ses yeux bleus se fixent sur Dora pour la première fois. Il vient d’avoir 40 ans, elle en a tout juste 25. Elle est assise à la table de la cuisine, occupée à vider des poissons. C’est le déclic, la révélation que l’éternel célibataire n’attendait plus. Le lendemain, comme par mégarde, il effleure sa main qui épluche des pommes de terre. Puis, il regarde “sa bouche, rien que sa bouche, et chuchote quelque chose à ses cheveux, à la cambrure de son dos”.

     

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    UN AMOUR “QUI SE PASSE DE MOTS”

     

    Tout l’art de Kumpfmüller consiste à arrimer son récit à ces détails concrets qui donnent plus à voir qu’à comprendre. La Splendeur de la vie tient tout entier dans l’accumulation de ces gestes dénués de toute psychologie, de ces postures presque impersonnelles des corps, montrant sans l’expliquer la force irrépressible d’un amour “qui se passe de mots”. D’ailleurs, Franz n’écrit guère. Rasé de près, il ajuste sa cravate devant la glace comme au premier rendez-vous. Enveloppée dans la robe de chambre de son “chéri” et assise sur ses genoux, Dora ajoute un post-scriptum aux lettres qu’il vient d’adresser à Max Brod ou à Robert Klopstock, surprise par sa belle écriture “à la fois déliée et toute en saillies”. Le parti pris du roman est presque graphique. Il invite sans cesse le lecteur à visualiser, fidèle en cela à l’une des leçons fondamentales d’un écrivain également dessinateur.

    Mais les jours sont comptés. Kafka n’a plus qu’onze mois à vivre. La tuberculose a déjà rongé ses poumons, elle est en train de gagner le larynx et va bientôt attaquer les intestins. Pourtant, il lui semble disposer de plus de temps qu’il n’en a jamais eu. Le bonheur, c’est peut-être cela. D’ailleurs, il s’est remis à écrire. Il lit parfois à Dora, qui écoute davantage sa voix que ses histoires d’animaux dont le sens lui échappe encore. Bientôt, Franz n’est plus capable de parler et communique seulement par billets : “Combien de temps pourras-tu le supporter ? Combien de temps pourrai-je supporter que tu le supportes ?”

     

    Découpée en trois parties, elles-mêmes scandées en douze chapitres, La Splendeur de la vie est sans cesse rattrapée par l’imminence de la fin. Sous la plume de Kumpfmüller, Dora s’impose comme la complice de son ultime combat. A son côté, à l’instant décisif, il est allé jusqu’au bout pour la première fois. Il a rompu avec Prague, avec la famille, avec la solitude. Il s’est installé à Berlin, où l’inflation galope et l’antisémitisme se propage. Ensemble, lui le juif assimilé, coupé de la tradition, et elle la juive de l’Est, issue d’une tradition étrangère, ils rêvent de Palestine. Comme si c’était pour la vie. “Comme si c’était son droit, et l’effroi une superstition vaincue”, précise le romancier, dont le pouvoir est précisément d’écrire “comme si”, d’explorer aussi loin que les faits le permettent tout le sens du possible.

     

    En 1915, Kafka notait dans ses Carnets : “Il n’y a personne pour me comprendre dans la totalité de mon être. Avoir quelqu’un qui le puisse, une femme par exemple, ce serait avoir pied de tous côtés, avoir Dieu.” Le temps d’un roman, sous le charme de La Splendeur de la vie, ce rêve peut devenir réalité.

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    La Splendeur de la vie (Die Herrlichkeit des Lebens), de Michael Kumpfmüller, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, Albin Michel, 290 p., 19,50 €.

    Christine Lecerf

     

    Extrait

    “Il demande alors à Dora de faire le nécessaire, lui dit exactement ce qu’elle doit apporter, les cahiers, les lettres, les feuilles volantes. Il lui est fort agréable qu’elle le fasse sans poser de questions. Elle a l’air surprise parce que rien ne laissait prévoir pareille décision, mais ensuite elle s’exécute. Il l’entend qui cherche, un bruissement de papier, un tiroir qui s’ouvre et se ferme, le tout en l’espace de quelques minutes. Il garde sous le coude les deux derniers récits qu’il vient encore de réviser, le reste peut disparaître. Ça ne vaut rien, dit-il, de temps à autre il faut lâcher du lest. Une fois entassé, ça fait plus de papier qu’il ne pensait, s’en débarrasser prend un temps fou. Dora s’est agenouillée devant le poêle, elle y jette les papiers les uns après les autres, il lui faut attendre chaque fois un moment afin que le feu ne s’étouffe pas, tandis qu’il la regarde faire, son dos penché, la plante de ses pieds nus.”

    La Splendeur de la vie, page 186

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